Seuil-01-séquence-5-Sortie d'Égypte
« Ils avaient vécu la même délivrance tout aussi incroyable que la nôtre. »
Cette séquence est à mettre en parallèle avec la précédente : on y retrouve l’oppression (53-54), une délivrance miraculeuse (58-59), grâce à un embourbement (60), avec aussi un « Alléluia » et un signe d’alliance (61-62).
Les Périzzites ont vécu un renversement. Ici, c’est un autre Exode qui est raconté, celui que tout le monde connaît : « le passage de la Mer Rouge », relecture sacerdotale très théologisée, fondée sur l’histoire des tribus venues du désert vers -1200 ou sur un récit de l’époque de Josias vers -650 ? Le montage laisse ouvertes les deux hypothèses. Quoi qu’il en soit, ces tribus ont vécu quelque chose de commun (61-62) qui les distingue des autres peuples. (Gam 1er seuil, p80)
Peut-on situer l’Exode ? Qu’en dit l’archéologie ?
L’archéologie ne trouve aucune trace d’un exode massif d’Égypte. Mais des famines endémiques en Canaan poussent souvent les populations sémites à venir quémander leur nourriture près du Nil. […] Ainsi, l’archéologie atteste-t-elle la présence de sémites en Égypte au XVe s. av. J.-C. : les Hyksos ; de même aux XIIe et Xe s. av. J.-C. Les tribus qui deviendront Israël, côtoient l’Égypte avec des intérêts et non sans tensions… et il y a bien des itinéraires pour sortir de l’emprise égyptienne : de quoi remplir les mémoires ! (EFB, p81)
Une inscription du XIIIe s. av. J.C. atteste pour la première fois de l’existence d’un groupe semi-nomade appelé Israël. Cette inscription se trouve sur la stèle de Merenptah,
roi d’Égypte entre -1238 et -1209. Les victoires en Canaan du roi égyptien y sont relatées et Israël est mentionné comme groupe non encore installé. À cette époque, l’ensemble de la zone côtière de Canaan jusqu’à Megiddo est d’ailleurs sous domination égyptienne.
(Catherine Le Peltier, EFB p 77)
Cf. Referen-ciel : Ex 14,19-30
Pourquoi parler de salut, de naissance, de création ?
« Faisant… du passage de ce marais, une création du monde. Et ils avaient raison, car c’était bien notre naissance. »
À la marge des grandes nations, et par conséquent, des grandes religions de l’époque, un regroupement de tribus disparates s’effectue autour d’un credo, exprimant une expérience religieuse singulière : il y est question d’une délivrance par un dieu qui n’agit plus par un ordre des choses, ni par une stabilité naturelle ou politique, mais qui intervient dans des événements sauveurs.
En quel sens parler d’événement fondateur ?
« Je dis ‘notre’, je dis ‘votre’, je dis ‘leur’, je mélange tout. »
Le fait historique incontestable c’est que des tribus disparates se reconnaissent appelées et cet appel maintient leur identité communautaire. C’est en répondant au-delà des possibles à une invitation et en partageant cette mémoire, qu’elles parviennent à sortir des mondes envoûtants puis à s’installer dans un pays sans se perdre.
Comment comprendre le nom de ce Dieu ?
« Le Dieu de leurs ancêtres, qui toujours les suivait et n’était nulle part installé, ce Dieu qu’ils appelaient « YHWH », avait fait cela pour eux… »
Les tribus vont nommer le nouveau dieu en utilisant les anciennes appellations : El, Shaddaï, Sabaoth, Adonaï, Ba’al… Mais ces étiquettes s’avèrent inadéquates pour viser la présence qui se révèle. […] Dieu se dit par des événements où il a signalé sa présence à son peuple en marchant avec lui. Ceci sera bien exprimé plus tard dans les littératures plus élaborées d’après l’Exil, par le caractère imprononçable du nom, sur lequel les juifs veilleront toujours jalousement désormais. Le tétragramme évoquera l’impossibilité de fixer Dieu dans une image, en même temps que la proximité de Dieu auprès de son peuple.
(Jean-Marie Beaurent, RTP p77)
Synopse d’exodes
Déborah |
sortie d’Égypte |
Jg 4,3 :Yabîn avait durement opprimé les Israélites… |
Ex1,11-14 :…on imposa à Israël, des chefs de corvée… Ex 15 : Chant de victoire |
Ces deux textes font apparaître un même schéma de salut : 1- Le peuple est sous l’oppression. 2-Un chef porteur de l’identité du peuple se lève. 3-Un combat, avec des rapports de force disproportionnés, a lieu. 4- YHWH intervient en faveur des plus faibles et retourne la situation. 5- Ce retournement se fait à travers l’eau qui devient signe d’une délivrance. 6-La victoire est donnée gratuitement par YHWH à des minorités qui auraient dû logiquement connaître la défaite. 7- Action de grâce et confiance en YHWH. (Catherine Le Peltier, EFB , p 78-79)
En définitive, quelle valeur accorder à l’événement « exodal » ?
Qu’est-ce qui donne à l’Exode sa valeur historique d’avènement ?
Une perspective purement historique ? Mais peut-on considérer que l’émergence d’une telle expérience soit fondamentale pour la suite de l’histoire ? De plus, l’événement reconstitué par l’archéologie ou la critique littéraire a-t-il encore un impact aujourd’hui sur les mentalités ? Que la réponse soit positive ou négative, l’événement demeure extérieur à nous et au mieux n’est perçu comme avènement que par les gens déjà convaincus de son importance.
Une perspective purement existentielle ? Dans ce cas, la stricte recherche objective des faits serait secondaire : il suffirait d’énucléer l’événement de son sens, d’isoler ce sens en le transportant dans les interrogations d’aujourd’hui. L’Exode serait alors la révolte des pauvres contre les oppresseurs, la révolution, ou bien l’irruption de l’autre dans ma vie, la sortie hors de soi pour vivre l’aventure amoureuse, par exemple… Alors, l’événement n’a de valeur que s’il vient répondre à un désir, à une question, à une recherche. Sa signification ne peut déborder ni interroger mon point de vue.
Il nous apparaît que la caractéristique de l’Exode nous empêche de séparer ainsi la facticité des événements de leur signification. Le sens de ce qui est arrivé ne peut être abstrait de l’événement lui-même : l’événement est un appel à un nouveau regard sur les événements et le sens réside dans la nouveauté, l’apparition soudaine d’un appel à interpréter différemment ce qui arrive. Une grappe d’événements a propulsé un peuple sur la scène du monde, parce qu’en son cœur est né un autre regard. Et ce peuple réfère cela à une initiative divine : il s’agit pour lui d’un salut qui le tire hors du néant. « Du fumier il retire le pauvre, pour l’asseoir en compagnie de princes. »(1 S 2, 8) Ce ‘davar’ de Dieu, crée Israël. Si l’événement est Israël lui-même comme nouveau regard sur les événements, alors ce qui arrive est inséparable de son sens, et le sens inséparable de ce qui arrive. Tout ceci est raconté, proposé sans cesse à vivre aux générations suivantes : c’est la catéchèse permanente d’Israël. En somme, le miracle de l’Exode, c’est Israël lui-même.
(Jean-Marie Beaurent, RTP pp85-86)
Et nous n’étions pas seuls : quelques tribus voisines, en marge elles aussi, avaient prêté main forte. Parmi elles, Ephraïm et Benjamin qui, venues du désert, demeuraient étrangères malgré tous leurs efforts pour mêler à leur vie les coutumes et les rites du pays où lentement ils s’installaient. Ils étaient accourus à notre appel, comme on fait entre pauvres. Ils avaient tout compris : eux revenaient d’Égypte, des dieux, des pyramides, des pharaons ; d’Égypte où ils avaient peiné comme esclaves.
C’était la même vie, sous la lumière et les ténèbres, c’était le même esclavage, c’étaient les mêmes chars ; et ils avaient vécu la même délivrance, tout aussi incroyable que la nôtre. Le dieu de leurs ancêtres, qui toujours les suivait et n’était nulle part installé, ce dieu qu’ils appelaient « YHWH », avait fait cela pour eux…
La sortie d’Égypte et le passage de la mer, vous connaissez ? On vous l’a tant de fois raconté. Mais c’était tellement important pour eux, c’était tellement important pour nous que plus tard, nos poètes en ont rajouté un peu, faisant de ce vent, une tempête, de ce bourbier où les chars s’enfonçaient parce qu’ils étaient trop lourds, une catastrophe nationale, du passage de ce marais, une création du monde. Et ils avaient raison, car c’était bien notre naissance. Je dis ‘notre’, je dis ‘votre’, je dis ‘leur’, je mélange tout. Et puis, quelle importance ?
Les tribus s’unissaient qui se reconnaissaient dans le même combat. Sichem devenait symbole de rencontre, loin des pharaons et des rois de Canaan ; symbole de naissance, loin du monde de l’esclavage. Il deviendrait bientôt symbole d’alliance.